Chloe Hecketsweiler

Experte des enquêtes de long cours, la journaliste Chloé Hecketsweiler, lauréate du Prix du journaliste scientifique AJSPI l’année de 2019, est une lumière perçant les zones d’ombre des industries pharmaceutiques et biotechnologiques. Portrait.

« Il n’y a jamais quelque chose qui va de soi, il faut toujours questionner ! » Une phrase qui résume bien l’approche journalistique de la lauréate du Prix du journaliste scientifique AJSPI de l’année 2019, Chloé Hecketsweiler. Au long de ses 17 ans de carrière, cette journaliste du Monde a su aller au fond de ses sujets avec des enquêtes mettant en lumière les dessous de l’industrie de la santé, un milieu particulièrement difficile à percer, car il mélange des sujets techniques très pointus avec des sommes d’argent considérables. Des sujets qui requièrent encore plus de profondeur et d’exactitude à cause de leur sensibilité : « on n’écrit pas seulement pour des lecteurs, on écrit pour des patients. Il ne faut surtout pas créer de faux espoirs ni alimenter le complotisme. »

Une journaliste qui va au bout

Passionnée par le journalisme depuis son enfance, Chloé Hecketsweiler a tracé noir sur blanc sa carrière très tôt. On dirait presque qu’elle a commencé à l’écrire dans les journaux qu’elle imprimait dans sa petite rotative à l’âge de neuf ans. À la suite d’une classe prépa en économie puis d’une double maitrise de géographie et sciences politiques à la Sorbonne, elle s’est formée à l’Institut pratique du journalisme (IPJ) dans le but d’intégrer l’AFP : « À l’époque, j’avoue que je n’aimais pas beaucoup écrire, j’aimais surtout chercher les informations, écrire rapidement et passer à un autre sujet pour rechercher d’autres informations », confie-t-elle. Mais après la joie d’avoir réussi le concours d’entrée à l’agence de presse vint la déception, l’AFP n’intégrerait aucun nouveau journaliste cette année-là : « Mais maintenant je ne regrette pas du tout. Je me suis trouvée à faire quelque chose de très différent et ça m’a appris que la façon dont on raconte l’information est tout aussi importante que l’information elle-même. »

Suite à cet écueil, la future enquêteuse a rebondi en travaillant au mensuel économique L’Expansion (du groupe L’Express), où elle a peaufiné l’art des enquêtes industrielles pendant une dizaine d’années. Avant de devoir rebondir à nouveau suite à son recrutement au Monde en 2013 : « Quelques mois après mon arrivée, on m’a demandé de reprendre le suivi du secteur pharmaceutique. Ce n’était pas du tout mon domaine et je mesurais très bien toute sa complexité, je me suis sentie face à l’Everest ! se souvient-elle. Mais mes collègues m’ont beaucoup aidé et finalement je ne me suis pas trouvée toute seule pour surmonter ce défi », ajoute-t-elle avec modestie. Car depuis, Chloé Hecketsweiler a montré qu’elle avait la ténacité et la détermination nécessaires pour faire face aux géants de la santé. Y compris le laboratoire Allergan (aujourd’hui propriété du groupe pharmaceutique américain AbbVie), producteur des prothèses mammaires Biocell, soupçonnées de causer un cancer rare du système immunitaire. Grâce au travail de 250 journalistes, dont Chloé Hecketsweiler, ces implants ont été retirés du marché et la planète a pu découvrir le manque de régulation dans la mise au marché des dispositifs médicaux, lors de la célèbre enquête internationale de 2018, « implant files », coordonnée par le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ). « Des dérives qui n’auraient pas été dévoilées sans un travail journalistique profond », rappelle-t-elle.

De l’assurance, mais surtout de la méfiance, face aux sujets compliqués

Au service Planète-Sciences du Monde depuis avril 2020, elle traite désormais la santé publique au sens large, notamment la pandémie de Covid-19, sujet on ne peut plus complexe, mais qu’elle sait aborder avec assurance, et un brin de méfiance : « Mes enquêtes précédentes sur les entreprises de la santé m’aident à ne pas oublier qu’il y a une mécanique financière derrière toute annonce de la recherche médicale ou de santé publique, il ne faut jamais tomber dans la naïveté ! » Un conseil qu’elle partage avec les nouveaux journalistes scientifiques, qui avons la responsabilité d’informer le public sur des sujets complexes et d’un grand impact sur la vie des gens, comme la pandémie : « Il faut garder sa curiosité et son esprit critique, mais surtout, il faut rester toujours sur le qui-vive ! »

Nicolas Gutierrez C.