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Une forme de glace salée nouvellement découverte
pourrait exister à la surface de lunes extraterrestres

La surface rouge et striée d’Europe, une des lunes glacées de Jupiter, est étonnante. Les scientifiques pensent qu’il s’agit d’un mélange gelé d’eau et de sels, mais sa signature chimique ne correspond à aucune substance connue sur Terre. Une équipe internationale dirigée par l’Université de Washington, associant plusieurs scientifiques de l’ESRF, le Synchrotron Européen situé à Grenoble, a peut-être résolu l’énigme en découvrant un nouveau type de cristal solide qui se forme lorsque l’eau et le sel de table se combinent dans des conditions de froid et de haute pression qui règnent sur ces lunes glacées. Les chercheurs pensent que la nouvelle substance créée en laboratoire sur Terre pourrait se former à la surface et au fond des océans profonds de ces lunes.

Les satellites glacés se trouvent dans le système solaire externe, au-delà de l’orbite de Mars.
On peut citer Europe et Ganymède, deux des lunes de Jupiter, et Encelade et Titan, deux des lunes de Saturne. Les missions spatiales Galileo (1989-2003), d’abord, et Cassini-Huygens
ensuite (1997-2017), ont considérablement élargi notre compréhension des satellites glacés.
Elles ont notamment confirmé la présence d’océans à base d’eau liquide à l’intérieur de ces corps, situés sous une épaisse croûte de glace. “Ce sont les seuls corps planétaires autres que la Terre où l’eau liquide est stable à des échelles de temps géologiques, ce qui est crucial pour l’émergence et le développement de la vie. Ils sont, à mon avis, le meilleur endroit dans notre système solaire pour découvrir la vie extraterrestre, donc nous devons étudier leurs océans pour mieux comprendre comment ils se sont formés, ont évolué et peuvent retenir l’eau liquide dans les régions froides du système solaire, si loin du Soleil“, explique Baptiste Journaux, premier auteur de la publication et professeur à l’Université de Washington.

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Des synchrotrons pour étudier l’eau extraterrestre
L’eau de ces océans contient très vraisemblablement du sel de table (chlorure de sodium), comme les océans terrestres, qui agit comme un antigel naturel, abaissant le point de congélation de l’eau et lui permettant de rester liquide à des températures qui, normalement, feraient geler l’eau pure. Cependant, les scientifiques n’avaient jusqu’à présent pas été en mesure de l’identifier clairement à la surface.

Baptiste Journaux explique ces difficultés : “Le sel et l’eau sont très bien connus dans des conditions communes. Mais au-delà, nous sommes totalement dans le noir. Nous avons maintenant ces objets planétaires qui contiennent probablement des composés qui nous sont très familiers, mais dans des conditions très exotiques. Nous avons dû refaire toute la science minéralogique fondamentale réalisée au XIXe et au début du XXe siècle, mais à haute pression et à basse température“.

L’équipe internationale composée de scientifiques de l’Université de Washington, de l’ESRF, le synchrotron européen de Grenoble, de DESY, le synchrotron allemand, de l’Institut de géochimie et de pétrologie en Suisse, de l’Université de Bayreuth en Allemagne, du Jet Propulsion Laboratory de la NASA et de l’Université de Chicago est venue à l’ESRF pour étudier ces échantillons solides en utilisant la diffraction des rayons X.

A l’ESRF, les chercheurs ont recréé les conditions de haute pression qui règnent sur ces lunes glacées en utilisant des cellules d’enclume en diamant et en les plaçant dans le cryostat, où ils ont pressé le liquide jusqu’à 25 000 fois la pression atmosphérique standard. Les échantillons, qui étaient constitués de sel de table dissous dans l’eau, se sont rapidement cristallisés en formes d’hydrates de sel inconnues jusqu’alors.

Notre objectif était de comprendre quels composés se forment dans les conditions de haute pression et de basse température des lunes glacées. Dans nos expériences, nous avons utilisé la diffraction des rayons X sur monocristal pour comprendre comment les nouveaux hydrates sont organisés à l’échelle atomique. Il s’agit d’une technique unique pour obtenir des informations non ambiguës sur la structure cristalline d’un solide“, explique Anna Pakhomova, scientifique à l’ESRF et co-auteur de la publication.

Les expériences ont mis en évidence deux nouvelles phases solides stables de glace salée, ou hydrates, présentant toutes deux une quantité d’eau beaucoup plus élevée dans la structure. L’un contient deux chlorures de sodium pour 17 molécules d’eau, l’autre un chlorure de sodium pour 13 molécules d’eau. Cela expliquerait pourquoi les signatures de la surface des lunes de Jupiter sont plus “aqueuses” que prévu. L’équipe a également pu montrer que l’un des nouveaux hydrates de sel, est stable dans les conditions de surface des lunes glacées. “Il possède la structure que les scientifiques planétaires attendaient pour expliquer les mystérieux spectres de surface des surfaces glacées. Cela nous permettra d’identifier les meilleurs endroits de leur surface à explorer, et éventuellement à atterrir et à creuser pour rechercher des signes de vie“, explique Baptiste Journaux.

Référence:
Journaux, B. et al, PNAS, 21 February 2023. DOI 10.1073/pnas.2217125120

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