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Note d’expression du 27 septembre 2021 de l’OFIS et de son conseil

L’opportunité d’une discussion scientifique plus ouverte ?                               

Fin avril dernier, les Professeurs Didier Raoult et Eric Chabrière annonçaient avoir porté plainte pour harcèlement, tentative de chantage et d’extorsion contre Elisabeth Bik, microbiologiste aujourd’hui spécialisée dans le commentaire critique d’articles scientifiques déjà publiés, et pour complicité contre Boris Barbour, neurobiologiste au CNRS et administrateur du site PubPeer qui accueille de tels commentaires, souvent anonymes. Les commentaires peuvent renvoyer à des questions d’éthique (non-respect des réglementations en vigueur concernant la protection des personnes), de déontologie (absence de déclaration de conflits d’intérêt) ou encore d’intégrité scientifique (manipulation d’images). Il n’entre pas dans les prérogatives de l’OFIS de se prononcer sur des cas individuels, puisque le traitement d’allégations particulières de manquements à l’intégrité scientifique relève au premier chef de la responsabilité des opérateurs de recherche concernés.  En revanche, cette affaire rend visible de nouveaux enjeux majeurs en matière de bonnes pratiques scientifiques.

Il convient d’abord de redire que la démarche scientifique implique une capacité de discussion critique des résultats, de leur interprétation ainsi que des conditions dans lesquelles ils ont été élaborés. Cette discussion doit être dépassionnée, dépersonnalisée, et documentée par des faits avérés. Auparavant essentiellement réservées aux enceintes académiques, en particulier à l’évaluation par les pairs de manuscrits soumis pour publication, ces discussions prennent aujourd’hui de nouvelles formes. Elles utilisent de nouveaux supports de diffusion et sont susceptibles d’intégrer de nouveaux acteurs, participant ainsi au processus actuel d’ouverture de la science. La production scientifique bénéficie donc d’une diffusion plus rapide et d’espaces de discussion critique supplémentaires : en amont de la publication, par l’accès aux « preprints » sur des serveurs ouverts à tous1, et en aval de l’évaluation traditionnelle par les pairs, sur des plateformes de commentaires post-publication, également ouvertes à tous. Il en résulte une évolution vers une transparence et une visibilité accrue dans la sphère publique des processus d’auto-correction de la production scientifique.

Cette ouverture à une critique plus large constitue une opportunité majeure pour la science de renforcer l’efficacité des dispositifs qui garantissent sa fiabilité et sa crédibilité. A condition toutefois que le principe intangible de l’argumentation factuelle, dépassionnée et dépersonnalisée régule également ces nouveaux forums de discussion scientifique. Dès lors que la critique y respecte ce principe, un chercheur se doit d’y être réceptif et d’y répondre avec la plus grande diligence dans le respect également de ce principe. Même si chacun peut faire valoir ses droits sur le terrain judiciaire, une telle démarche ne saurait se substituer aux devoirs attachés au débat académique.

Sur un plan plus institutionnel se pose la question de la pleine intégration à l’écosystème de la recherche des fonctions de vigilance et de correction post-publication assurées aujourd’hui par ces blogs et plateformes spécialisés. Dès lors que le bénéfice de ces fonctions est établi pour la qualité et la fiabilité des productions scientifiques, pourquoi ne pas envisager leur reconnaissance voire leur prise en charge par les institutions scientifiques ? Cela permettrait au monde académique de s’approprier pleinement ces nouvelles modalités de discussion critique et d’en définir collectivement les bonnes pratiques comme il l’a fait pour les autres processus déjà existants d’auto-correction. Il pourrait par exemple considérer les activités de commentaires post-publication comme relevant des activités ordinaires du chercheur, au même titre que les activités traditionnelles d’évaluation par les pairs. Ou encore, soutenir les interventions pertinentes d’acteurs qui ne sont pas ou plus des chercheurs en exercice, reconnaissant ainsi leur légitimité et leur utilité.

De telles évolutions constitueraient un pas supplémentaire important dans l’effort institutionnel déployé ces dernières années par le monde de la recherche pour améliorer ses pratiques en matière d’éthique, de déontologie et d’intégrité scientifique. L’OFIS ne manquera pas de faire des propositions en ce sens.

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1 Sur la vigilance à avoir à l’égard des preprints, voir la note d’expression du CoFIS du 30 juin 2020.

Créé en 2017 comme département du Hcéres, l’Office Français de l’Intégrité Scientifique (OFIS) assure une mission nationale de promotion et de coordination des politiques en faveur de l’intégrité scientifique. Ses actions s’organisent selon trois axes : observatoire, ressources, réflexion et prospective. L’OFIS est dirigé par Stéphanie Ruphy. Le Conseil Français de l’Intégrité Scientifique (CoFIS), présidé par Olivier Le Gall, oriente et supervise ses travaux.