L'équipe du Dr Raphaël Rodriguez à l'Institut Curie

Pour la première fois, des chercheurs de l’Institut Curie, du CNRS et de l’Inserm dévoilent une chaîne de réactions biochimiques jusque-là inconnue : elle implique le cuivre et conduit à des modifications métaboliques et épigénétiques[1] qui activent l’inflammation et la progression tumorale. Mais ce n’est pas tout : l’équipe de recherche a élaboré un « prototype-médicament » capable d’atténuer tant les mécanismes d’inflammation que les processus potentiellement impliqués dans la dissémination métastatique. Publiés dans la revue Nature le 26 avril 2023, ces résultats laissent entrevoir de nouvelles opportunités thérapeutiques dans le contrôle de l’inflammation et du cancer.

L’inflammation est un processus biologique complexe qui permet l’élimination des pathogènes et la réparation des tissus endommagés. Cependant, une dérégulation du système immunitaire peut conduire à une inflammation incontrôlée qui entraîne des lésions et qui contribue à des processus pathologiques. C’est le cas du cancer où le rôle de l’inflammation est avéré dans la progression tumorale. Or, les mécanismes moléculaires sous-jacents à l’inflammation restent encore mal connus aujourd’hui et, de fait, le développement de nouveaux médicaments représente un défi considérable.

En 2020 déjà, le Dr Raphaël Rodriguez, directeur de recherche au CNRS et chef de l’équipe « Chemical Biology » à l’Institut Curie (Equipe Labellisée Ligue Contre le Cancer) au laboratoire Chimie et biologie de la cellule (Institut Curie/ CNRS/ Inserm), avait apporté un éclairage nouveau sur un récepteur membranaire appelé CD44, qui marque la réponse immunitaire, l’inflammation et le cancer en particulier. Le chercheur et son équipe avaient ainsi montré que CD44 permettait le transport du fer dans la cellule[2], déclenchant alors une série de réactions conduisant à l’activation de gènes impliqués dans le processus métastatique. « Il s’agit là d’un phénomène de plasticité cellulaire que nous avons continué d’étudier avec l’implication d’autres métaux aussi internalisés grâce à CD44, en particulier le cuivre », explique le chercheur. 

Le cuivre à l’origine de modifications épigénétiques

Aujourd’hui, avec ses collègues[3], le Dr Rodriguez vient de franchir une nouvelle étape. Les chercheurs ont en effet réussi à identifier une voie de signalisation impliquant le cuivre et conduisant à l’expression des gènes de l’inflammation dans les macrophages, des cellules qui sont présentes dans tous les tissus et qui jouent un rôle majeur dans la réponse immunitaire innée.

Une fois internalisé dans les macrophages, le cuivre pénètre dans les mitochondries (les organites responsables de la respiration cellulaire), où il catalyse l’oxydation du NADH en NAD+ (nicotinamide adénine dinucléotide, une molécule nécessaire à l’activité de certaines enzymes). L’augmentation de NAD+ dans les cellules permet l’activation d’autres enzymes, impliquées dans la production de métabolites essentiels à la régulation épigénétique. Ces métabolites permettent alors l’activation des gènes impliqués dans l’inflammation. 

Inflammation et cancer : des mécanismes moléculaires communs

Les scientifiques ne se sont pas contentés de cette découverte : ils ont également conçu des molécules capables de se lier au cuivre, inspirées de la metformine[4]. En les testant sur des modèles d’inflammation aigüe d’origine virale ou bacterienne, ils ont identifié qu’une molécule de synthèse dimère de la metformine, LCC-12 (aussi nommée Supformine), réduisait l’activation des macrophages et atténuait l’inflammation. « Nos travaux nous ont permis de développer un prototype de médicament qui inactive le cuivre dans la machinerie métabolique de la cellule, bloquant ainsi l’expression des gènes impliqués dans l’inflammation », décrypte le Dr Rodriguez.


Pour finir, ils ont appliqué cette stratégie thérapeutique sur des cellules cancéreuses engagées dans une transition épithélio-mésenchymateuse[5]. Là encore, la Supformine a mis un frein au mécanisme cellulaire et donc à la transformation des cellules. « Les gènes activés au sein des cellules cancéreuses ne sont pas les mêmes que ceux impliqués dans les cellules immunitaires, mais la réaction en chaîne qui conduit aux modifications épigénétiques est identique », explique le Dr Rodriguez. Ces résultats mettent ainsi en évidence le rôle du cuivre des cellules cancéreuses et leur capacité à adopter un caractère métastatique.

Le Dr Raphaël Rodriguez conclut : « Notre étude révèle finalement que les processus inflammatoires et cancéreux dépendent de mécanismes moléculaires semblables et pourraient donc bénéficier dans le futur de thérapies innovantes similaires, telles que celle testée avec le Supformine »

L’explication en vidéo du Dr Raphaël Rodriguez : https://youtu.be/wPqaT0Z-xPc 

 

 

 

[1] L’épigénétique étudie les mécanismes intervenant dans la régulation des gènes, essentielle à l’action des cellules et au maintien de leur identité. Contrairement aux mutations génétiques qui sont figées, les modifications épigénétiques sur l’ADN ou les histones sont réversibles.
[2] Lire le communiqué de presse « Cancer : un nouveau mécanisme de régulation de l’activité cellulaire impliquant le fer » : https://curie.fr/sites/default/files/medias/documents/2020-08/CPCNRS-CD44ferCancer-FR-emb.pdf
[3] L’étude a été menée à l’Institut Curie, au sein de l’unité Chimie et biologie de la cellule (Institut Curie, CNRS, Inserm), en collaboration avec l’UVSQ, l’hôpital Raymond Poincaré (AP-HP), Gustave Roussy, l’Institut de chimie moléculaire et des matériaux d’Orsay (CNRS/Université Paris-Saclay), Multimodal Imaging Center (Centre d’imagerie multimodale, CNRS/Institut Curie/Inserm/Université Paris-Saclay), Centre d’infection et d’immunité de Lille (CNRS/Inserm/Institut Pasteur de Lille/CHU de Lille/Université de Lille), Institut de pharmacologie et biologie structurale (CNRS/Université Toulouse III) ainsi que des chercheurs britanniques et australiens.
[4] Le Metformin est un traitement utilisé contre le diabète de type 2, capable de former un complexe bi-moléculaire avec le cuivre.
[5] La transition épithélio-mésanchymateuse (TEM) est la première étape permettant aux cellules cancéreuses de métastaser.

Référence : A druggable copper-signalling pathway that drives inflammation

Stéphanie Solier, Sebastian Müller, Tatiana Cañeque, Antoine Versini, Arnaud Mansart, Fabien Sindikubwabo, Leeroy Baron, Laila Emam, Pierre Gestraud, G. Dan Pantoș, Vincent Gandon, Christine Gaillet, Ting-Di Wu, Florent Dingli, Damarys Loew, Sylvain Baulande, Sylvère Durand, Valentin Sencio, Cyril Robil, François Trottein, David Péricat, Emmanuelle Näser, Céline Cougoule, Etienne Meunier, Anne-Laure Bègue, Hélène Salmon, Nicolas Manel, Alain Puisieux, Sarah Watson, Mark A. Dawson, Nicolas Servant, Guido Kroemer, Djillali Annane et Raphaël Rodriguez. Nature, 26 avril 2023.
https://doi.org/10.1038/s41586-023-06017-4


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